1) Question après la présentation du Pr Antoine Vieillard-Baron (Chef du service de Médecine intensive réanimation, Hôpital Ambroise Paré, AP-HP) : « Epidémiologie, incidence et principales caractéristiques de la détresse respiratoire à SARS-CoV-2 »
Question du Pr Alain MERCAT (Chef du service de Médecine intensive réanimation – CHU d’Angers)
La moindre incidence du « cœur pulmonaire aigu » au cours du SDRA lié au SARS-CoV-2 est surprenante. Car quand on compare les études anatomo-pathologiques effectuées au cours du SDRA non COVID-19 et au cours du SDRA lié au SARS-CoV-2 cela montre qu’il y a des lésions alvéolaires diffuses dans les deux cas : cela est caractéristique du SDRA. Mais, s’il y a une différence elle porte sur une atteinte vasculaire plus sévère, plus significative : artériolaire et capillaire pulmonaire, au cours du SDRA de la COVID-19. On aurait donc pu s’attendre logiquement à plus d’augmentation des résistances vasculaires pulmonaires et donc à plus de « cœur pulmonaire ». As-tu un commentaire là-dessus ? »
Réponse du Pr Antoine Vieillard-Baron
Je n’ai pas de commentaire. Une façon peut-être de répondre à ta question est de s’interroger sur le moment auquel l’évaluation du ventricule droit a été faite. Ce que tu dis, notamment dans le SARS-CoV-2, est probablement particulièrement vrai après plusieurs jours de ventilation où effectivement, au fur et à mesure de l’évolution on a des micro-thrombi qui se sont formés dans la circulation pulmonaire. Et là, pour le coup, un certain niveau d’HTAP, avec parallèlement des malades qui peuvent évoluer assez vite vers une phase préfibrotique et commencer à avoir des difficultés ventilatoires. Alors que finalement les données que l’on a dans le SDRA non-SARS-CoV-2 se bornent en général à évaluer la fonction ventriculaire droite assez précocèment, dans les 48H qui suivent la mise sous ventilation invasive, et donc peut-être que le message que j’ai fait passer est moins vrai si on s’intéresse à l’incidence de cette défaillance sur l’ensemble du séjour. On aura peut-être à l’inverse des taux beaucoup plus importants dans le SARS-CoV-2.
J’ai 2 questions que je vais lire et auxquelles nous allons essayer de répondre
La première question est : « la différenciation H et L n’est-elle plus admise ? »`
Réponse du Pr Antoine Vieillard-Baron
Je rappelle que H c’est « high elastance » et L « low compliance » : ce sont des malades plutôt classiques avec un potentiel de recrutement significatif, et puis L c’est « Low elastance » et H « high compliance » : ce sont des malades, comme je vous l’ai montré, qui ne seraient pas répondeurs à une « PEEP trial » parce que finalement peu recruteurs. Est-ce que ce n’est pas admis ? c’est une réponse difficile à faire, on peut dire que c’est balancé comme je vous l’ai montré dans mon topo. C’est sans doute moins définitif qu’on a bien voulu nous le dire, très tôt dans l’épidémie au printemps. Et probablement qu’il faut prendre un petit peu de recul par rapport à cela. Je ne sais pas si Alain ou Matthieu vous voulez commenter là-dessus ?
Réponse du Pr Alain MERCAT
Je pense qu’il n’est pas question de dire si c’est admis ou pas. Cela fait partie du débat scientifique qui est toujours intéressant et qui fait progresser la réflexion et finalement la connaissance. Je pense que très clairement de la part de Luciano Gattitoni, comme il le fait très volontiers, c’était quelque chose d’assez provocateur et cette dichotomie H et L, lui-même savait très bien que c’était faux, parce que nous savons qu’il y a un continuum de gravité, de malades de compliance différentes. C’était, je pense, une méthode utilisée pour signaler l’existence d’un sous-groupe de patients un peu particuliers et un peu inhabituels. Donc, le message que j’en retiendrais c’est qu’il ne suffit pas de dire ce malade est atteint par la Covid-19 et il a un SDRA, il faut aussi essayer d’aller un peu plus loin et de faire des mesures simples qui permettent de caractériser le comportement mécanique du système respiratoire et les échanges gazeux. Alors, est-ce que c’est déterminant pour la suite, c’est toujours difficile à dire. Il me semble que c’est préférable de mieux connaitre les malades, de mieux les identifier et les caractériser, notamment pour faire de la médecine un peu personnalisée, c’est-à-dire d’essayer d’adapter notre stratégie thérapeutique de prise en charge à la situation clinique particulière d’un malade donné. Donc, si c’était celà le but de Luciano Gattitoni c’est très bien ! Cela a en tout cas provoqué dans les revues un flot d’éditoriaux et de réponses qui sont toujours stimulantes !
Pr Antoine Vieillard-Baron
Autre question (dans la même veine) : « Avez-vous fait des études observationnelles entre SDRA COVID-19 « low elastance » et « high elastance » et degré de l’hypoxémie ? ».
Réponse du Pr Alain Mercat
A ma connaissance, c’est essentiellement ce que je vous ai montré dans mes diapositives, même si peut-être dans le futur il y aura d’autre données qui vont sortir.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Suite de la question : « Est-ce que la saturation (SpO2) reste longtemps normale au stade de « low elastance » ? et si oui, combien de temps en général ? »
Réponse du Pr Alain Mercat
Ce sont justement des malades, et c’est cela l’intérêt du concept (j’aime bien l’appeler comme celà), qui ont un shunt important ainsi que des anomalies gazométriques majeures et qui pourtant pourraient avoir une mécanique respiratoire peu altérée.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Question du Dr Abdelaye de Nouakchot (Mauritanie) : « je voudrais vous demander par rapport aux facteurs de risque principaux de SDRA à SARS-CoV-2. Chez nous, en Mauritanie c’est significativement le diabète.
Réponse du Pr Antoine Vieillard-Baron
Effectivement, je ne vous ai pas parlé des facteurs de risque dans la mesure où j’ai fait un focus essentiel sur le SDRA, mais si vous allez regarder dans l’étude COVID-ICU (Schmidt M, et al. Clinical characteristics and Day 90 outcomes of 4244 critically ill adults with COVID-19 : prospective cohort study. Intensive Care Med, 29 Oct 2020. https ://doi.org/10.1007/s0013 4-020-06294-x), qui montre notamment l’ensemble des facteurs de risque, mais peut-être que Matthieu pourra le commenter. Pour le SDRA à SARS-CoV-2 sévère admis en réanimation, qu’il ait un SDRA ou pas, effectivement l’hypertension artérielle, le diabète, le surpoids semblent être des facteurs particulièrement associés.
Matthieu peut-être que tu veux dire un mot là-dessus ?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt (Service de réanimation médicale, Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris – Université Pierre et Marie Curie, Paris 6)
Oui, clairement, c’est le dénominateur commun qu’on a retrouvé à tous ces malades de réanimation : 28 % de diabétiques, 50 % d’hypertendus, et 75 % des patients qui sont en surcharge pondérale. Dans les facteurs de risque associés à la mortalité à J90, ce que l’on retrouvait c’était le poids du diabète, plus que celui de l’HTA, et celui de l’obésité extrême. Ce que nous n’avons pas encore abordé c’est l’importance du délai d’apparition des symptômes qui est un facteur indépendant associé à la mortalité. Ainsi plus le délai entre le début des symptômes et l’admission en réanimation est court et plus cela est associé à une forte mortalité à J90, ce qui témoigne d’une maladie plus intense et d’installation plus rapide.
Pr Antoine Vieillard-Baron
J’étais particulièrement content que vous rapportiez d’ailleurs ces données, parce que cela confortait l’étude qu’on avait, nous, publiée dans ICM. Mais finalement c’est une partie des malades de l’étude Covid-ICU. C’est intéressant de voir que ce que l’on avait retrouvé sur 379 malades vous l’avez aussi validé sur plus de 4000 malades. C’est donc effectivement un message assez important.
Il y a une autre question : « Que pensez-vous de la trachéotomie précoce chez le patient SDRA intubé et ventilé ? ». C’est plus une question en rapport avec la stratégie respiratoire et nous allons la garder pour tout à l’heure, pour l’exposé d’Alain.
Question : « Certains résultats des autopsies effectuées, surtout en Espagne, parlent d’une néovascularisation extra-alvéolaire : est-ce que c’est également vu en France ? Et, si oui, est-ce que c’est lié à la sévérité de la COVID-19 ?
Réponse du Pr Alain Mercat
C’est une question difficile ; je ne suis pas un expert en anatomopathologie, mais effectivement ce que je vous ai montré c’est qu’il y a clairement une néovascularisation dans cette maladie, dont on ne comprend pas très bien la cause, mais qui est sûrement une partie de l’explication de la discordance entre les échanges gazeux très altérés et la mécanique respiratoire, au moins au début pour certains malades, moins altérée. Est-ce que c’est lié à la sévérité ? Probablement que oui, mais à ma connaissance je n’ai pas d’étude en tête qui ait rapporté ou étudié l’existence d’une corrélation entre cette néovascularisation et la sévérité de la pathologie. Celà pour une raison assez simple c’est parce que les outils d’études de la néovascularisation sur des patients vivants sont assez limités.
Je ne sais pas si l’un ou l’autre vous voulez compléter là-dessus ?
Pr Alain MERCAT
C’est une remarque tout à fait pertinente. C’est un sujet extrêmement complexe. Comme tu l’as dit ce que l’on a ce sont des données anatomopathologiques qui par définition sont obtenues chez des patients décédés. Il n’y a pas de série ayant étudié des biopsies pulmonaires chez des malades atteints de COVID-19 vivants. Il y a quelques séries de patients non ventilés (car ils avaient refusé d’être mis sous ventilation artificielle) mais décédés et qui montrent les mêmes lésions. Ces patients ont d’ailleurs souvent évolué assez longtemps. C’est donc effectivement assez compliqué à interprèter. C’est une bonne question et une des pistes possibles pour l’explication du mystère autour des raisons de l’hypoxémie profonde observée chez des patients qui n’ont pas l’air d’avoir une atteinte pulmonaire avec des zones non ventilées d’étendue extrêmement importante. On n’en sait pas plus…
2) Questions après la présentation d’Alain Mercat (Chef du service de Médecine intensive réanimation - CHU d’Angers) : « Support respiratoire au cours de la COVID-19 »
Pr Antoine Vieillard-Baron
La formule des 3% n’est-elle valide uniquement que pour les masques à haute concentration et quid des lunettes ?
Réponse du Pr Alain Mercat
Oui, ce n’est valide que pour les masques à haute concentration mais cela reste très approximatif et pour les lunettes on ne sait pas du tout.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Quel est le pourcentage de pneumothorax au cours du COVID-19 en réanimation ?
Réponse du Pr Alain Mercat
Je n’ai pas la réponse à cette question. Il y a plusieurs publications qui rapportent, notamment dans le milieu pneumologique, des malades infectés par le COVID-19 (y compris des formes non graves) qui développent des pneumothorax du fait d’une toux extrêmement importante, mais je n’ai pas de chiffre en tête. Peut-être que Matthieu a çà ?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Je n’en ai pas le souvenir.
Réponse du Pr Alain Mercat
Dans notre expérience, on a traité 170 patients et je crois qu’on n’a mis qu’un seul drain thoracique. C’était d’ailleurs la première malade que nous recevions et elle est venue dans le service en raison du pneumothorax. Ce n’est donc pas fréquent.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Question du Dr N’Diaye : Si on n’a pas de gaz du sang on définit le SDRA par les critères de Kigali qui tiennent compte de la SpO2 et de la FIO2. Tu valides ?
Réponse du Pr Alain Mercat
Absolument ! Excellente stratégie !
Pr Antoine Vieillard-Baron
Cela me permet juste de faire un commentaire : il y a une petite Research Letter qui est parue qui suggérait qu’il y aurait une discordance plus importante entre la SpO2 et la SaO2 dans le COVID-19, avec une surestimation de la SaO2 à partir de la SpO2 ? Tu peux dire quelque chose là-dessus ?
Réponse du Pr Alain Mercat
D’abord très curieusement il y a très, très peu de données sur la précision de la mesure de SpO2. Je vous ai cité le chiffre de + 4% qui provient d’un papier très ancien, d’il y a un peu plus de 15 ans, de l’équipe d’Henri Mondor. Avec les capteurs modernes de SpO2 cela dépend de la marque de l’appareil et du logiciel qui traite le signal. Il y a derrière tout celà des secrets industriels. Il y a des différences, notamment quand on utilise des capteurs un peu moins chers, souvent fabriqués en Asie du Sud-Est…
Pr Antoine Vieillard-Baron
Dernière question : Si tu décides de mettre un malade sous VNI tu commences par quels réglages du ventilateur ?
Réponse du Pr Alain Mercat
Je commence par 5 cm d’H2O de PEP et 12 cm d’H2O d’aide inspiratoire et je vais augmenter la PEP progressivement.
3) Questions après la présentation du Dr Matthieu Schmidt (Service de réanimation médicale, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris Université Pierre et Marie Curie, Paris 6) : « SDRA et SARS-CoV-2 - Place de l’ECMO »
Pr Antoine Vieillard-Baron
Une première question intéressante sur le sevrage de l’ECMO veino-veineuse une fois qu’elle a été mise en place : Quels critères utilisez-vous pour considérer qu’un malade peut être sevré de l’ECMO ?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Dans le SDRA COVID-19 placé en ECMO, nous utilisons exactement les critères de sevrage qui sont appliqués dans l’étude EOLIA, c’est-à-dire une PaO2 > 60 mmHg, une FiO2 < 60 %, un pH normal, une absence de cœur pulmonaire et une pression de plateau < 28mmg, avec un peu plus de tolérance chez les patients obèses, chez lesquels on va tolérer une pression de plateau un peu plus haute.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Avec un balayage réglé à combien ?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Pour le sevrage, le balayage est à 0.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Autre question : Quels sont les objectifs (sans doute gazométriques) à atteindre chez un patient sous ECMO (sans doute au-delà de la ventilation ultra-protectrice, mais tu peux la reclarifier) ?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
En termes d’objectifs de SpO2 ?
Pr Antoine Vieillard-Baron
Non, la question est : What is the target of patient on ECMO?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Pour la ventilation, ce que nous faisons et qui est à peu près communément accepté c’est un volume courant < 4 ml/kg, des pressions de plateau < 24 cm H2O, une pression motrice < 14 cm H20 et une FiO2 la plus basse possible, pour éviter la toxicité potentielle de l’oxygène.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Après, il y a une question intéressante, à laquelle tu n’as peut-être pas répondu dans ton diaporama : Y-a-t-il une augmentation du risque thrombo-embolique après la mise sous ECMO par rapport à un patient non-COVID ? tu nous as montré le pourcentage de 19 %, mais cela peut être lié à la maladie ou à la mise sous ECMO…
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Dans tous les cas, l’ECMO veino-veineuse, en elle-même, augmente le risque thrombo-embolique : 35 % des malades ont une thrombose « cavens » à la décanulation. Donc la canule qui va rester en place longtemps est, en elle-même, un facteur de risque thrombo-embolique …
Pr Antoine Vieillard-Baron
Mais ce risque est-il augmenté par rapport à votre expérience dans EOLIA non-COVID?
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
Oui, ce que l‘on constate c’est qu’il y a beaucoup plus de complications thrombo-emboliques dans notre cohorte ECMO pour SDRA COVID-19. Mais vous dire c’est à cause de l’ECMO ou à cause de la COVID-19 c’est difficile. Si vous comparez ça à l’ECMO dans le groupe EOLIA il n’y avait clairement pas de complication thrombo-embolique dans ce groupe.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Je termine par une petite question qui a été posée au début et à laquelle on n’a pas répondu et tous les deux vous pouvez donner votre avis : « Rôle et timing de la trachéotomie et notamment intérêt de sa réalisation précoce chez ces malades présentant un SDRA dû au SARS-CoV-2 ? »
Réponse du Dr Matthieu Schmidt
C’est difficile de répondre. A ma connaissance, il n’y a pas d’étude là-dessus. Dans l’étude COVID-ICU il y avait relativement peu de trachéotomies, lors des durées de ventilation extrêmement longues (8%). Plusieurs choses peuvent expliquer cela, probablement la peur de la contamination lors de la procédure, des difficultés de désescalade de la sédation de ces malades qui ont un « drive » qui reste intense et beaucoup de difficultés finalement à sevrer et à réveiller ces patients. Et on sait bien que la trachéotomie ne va pas changer le pronostic, elle va juste améliorer le confort du patient.
Pr Antoine Vieillard-Baron
Alain : avant de conclure ?
Pr Alain Mercat
Oui, c’est une stratégie qui est notamment développée par nos collègues militaires, spécialistes de la gestion des catastrophes. En trachéotomisant précocèment, cela faciliterait la mobilisation des patients au cours d’éventuels transferts secondaires, par voie aérienne ou terrestre, en procurant de meilleures conditions de sécurité. Il n’y a pas eu d’expérience, en tout cas en France. Dans les hôpitaux de campagne, on trachéotomise, ensuite on stabilise puis on transfère vers un hôpital conventionnel à distance. Finalement, il y a eu très peu de patients trachéotomisés. C’est la tendance naturelle en France depuis quelques années : on trachéotomise beaucoup moins, y compris pour des ventilations artificielles prolongées.